Journal | Juillet 2019
- mercredi 3, ciné
Tout ce qu’il me reste de la révolution, film de Judith Davis, 2019
Élevée dans les valeurs sociales de respect, de dignité, de solidarité par des parents qui ont été de tous les combats depuis mai 68, Angèle, récemment virée par ses patrons de gauche, retourne vivre chez son père, tous deux bien décidés à changer le monde alors que la mère et la sœur (qui bosse dans le marketing) ont finalement et selon toutes apparences abandonné leurs idéaux. Sous ses dehors de comédie romantique qui ne « casse pas trois pattes à un canard », le film regarde un peu plus loin que le bout de la lorgnette, loin des jugements à l’emporte-pièces, nous encourage à suivre ou croiser les différents protagonistes avec empathie, et interroge sur la notion de militantisme, entre l’énergie combative et sonore, et l’apaisement d’une vie en cohérence avec ses idées, ou comment mener sa révolution vers le monde meilleur qu’on recherche tous.
Allergique aux grands rassemblements et mouvements de foule et en général mal à l’aise face au positionnement souvent systématiquement en opposition et violent (physiquement, verbalement ou intellectuellement) du discours militant sans pour autant en discuter le bien fondé et l’importance, forcément ça me parle...
En plus c’est plein d’énergie, sympa et j’ai passé un bon moment !
Un film français qui pour une fois sort des faits divers sordides, du pathos familial ou de la bouffonnerie grasse, c’est pas désagréable !! Du même tonneau, j’avais aussi beaucoup aimé Les invisibles et Crash test Aglaë (et sûrement bien d’autres que je n’ai pas encore vus !)...
- dimanche 7, bédé
Superman : Red Son, comic book de Kilian Plunkett, Dave Johnson et Mark Millar, 2003
Attention, curiosité. Et si le vaisseau de Superman-nourrisson avait atterri dans l’U.R.S.S. de 1938 plutôt qu’au Kansas ? C’est sur ce point de départ que Mark Millar développe son scénario, servi par un univers graphique bien pensé intégrant des montagnes de références à l’univers DC. Lecture agréable sans être un chef d’œuvre du genre. Intéressant.
- lundi 8, palme d’or
Parasite, film de Bong Joon-ho, 2019
D’abord c’est le cadre qui prend. Juste impressionnant. Chaque plan est composé, percutant, à la fois lisible, et bourré d’informations secondaires qui rendent les atmosphères palpables et odorantes bien au-delà des seuls yeux et oreilles. La photographie intensifie cette impression, tant le travail sur la lumière et l’étalonnage est fabuleux. Quant à la musique, elle accompagne les tableaux pour une réelle immersion dans cet univers, quasi huis-clos. On est dedans. Pris comme dans un piège (mais quel piège !). L’écriture ensuite. Au cordeau. Les personnages, bien campés, bien dessinés sans tomber dans la caricature. Les lieux... ben ce sont aussi des personnages. Puis tout s’enchaîne dans une parabole de la vie, entre destin et hasard... Puis ça parle ! Non que ce soit bavard ou particulièrement verbeux (les dialogues de la version sous-titrée sont vraiment bien foutus !), mais le signifié, la richesse des thèmes abordés, la façon de les aborder, de nous les faire ressentir dans notre chair... Ouawh ! État de la société coréenne, qu’on peut sans problème élargir vers l’est et l’ouest, lutte des classes, étude sociale, sociétale, psychologique voire psychanalytique (difficile de ne pas voir un symbole fort particulier à une partie sombre et labyrinthique de la maison, que l’on n’explore d’ailleurs qu’en surface ! je me demande si le mot refoulement peut regrouper les mêmes significations en coréen qu’en français... dans tous les cas, le « dialogue » entre les deux habitats est acté par le montage, et les vases communicants). Sur quoi fonde-t-on une société ? une réussite ? quel sens donne-t-on à réussite ? comment se positionne-t-on par rapport à la prospérité ? la culpabilité ? histoire familiale ? transmission ? syndrome d’imposture ? est-on toujours le parasite de quelqu’un d’autre, et tous parasités ? Les niveaux de lecture sont tellement nombreux et si intéressants. D’autant plus que chacun y trouvera ce qui lui parle spécifiquement... ce serait pas loin de la définition d’un chef d’œuvre ça non ? (en tout cas quel chemin parcouru depuis Le Transperceneige !!! ou alors c’était un problème de relation avec le studio ou de budget). Et le rythme !!! les deux heures passent sans qu’on s’en aperçoive, entre gravité et humour [1], les éléments narratifs arrivent les uns après les autres, ça s’emboite comme un puzzle, nous laissant toujours la surprise de l’image qui va apparaître. Non, vraiment, rarement vu un film aussi bien écrit.
Enfin voilà, pour moi un film tellement dense et beau qu’un deuxième visionnage n’est pas de trop ! Je me laisserais même bien piéger une troisième fois (et pourquoi pas une quatrième) !!
- mardi 16, ciné
Le chant de la forêt, film de João Salaviza et Renée Nader Messora, 2019
Documentaire-fiction où chaque acteur joue son propre rôle. Plongée en vue subjective dans l’univers des Krahô, on suit quelques mois de la vie du jeune Ihjãc, futur chaman, et de Kôtô, sa femme et mère de leur fils. Étape particulière, fin du deuil du père, organisation des festivités, récolte du manioc, culture et rituel de passage... Des épreuves qu’Ihjãc va poursuivre dans l’isolement de la ville, coquille vide de toute spiritualité prompte à la méditation le temps nécessaire pour lui d’accepter son destin. Au passage, le « monde des blancs » en prend pour son grade, à mon sens pas forcément à tort. En plus de (me) faire découvrir d’autres personnes et d’autres façons de vivre sur ce caillou, ce film interroge la nôtre (celle du monde dit occidental) assez subtilement en nous montrant des bribes de richesse d’une culture indigène encore trop souvent jugée et rabaissée. En nous la faisant vivre, en nous faisant nous poser des questions, sans aucun sous-texte didactique. Juste de quoi attiser la curiosité...
Krahô, je l’apprends en rentrant après quelques courtes recherches, c’est à la fois un « nom de famille », un peuple et un parler (énième sous-groupe de langues amérindiennes qui ne fait que souligner encore la richesse de ce qui existe et la profondeur de mon ignorance) utilisé par environ deux mille locuteurs, deux mille survivants, dans ce que l’on nomme aujourd’hui le nord-est du Brésil.
J’y ai aussi trouvé des symbolismes proches de ceux croisés dans le film Les oiseaux de passage, qui lui se passe dans le nord de la Colombie (les oiseaux, les esprits), particulièrement intéressants, à rapprocher aussi peut-être de ceux de L’ornithologue (attention, film classé « Recherche et découverte » par le CNC, pas par hasard ^_^), qui m’avait laissée beaucoup plus circonspecte (surtout pour son côté un chouia trop christique à mon goût).
Attendez-vous à un autre rapport au temps, qui ne plaira pas forcément à tous. Moi j’ai beaucoup aimé =).
- dimanche 21, découverte ludique
Chakra, jeu de Luka Krleža (méca) et Claire Conan (illus), édité par Blam !, 2018
Dans Chakra, il s’agit de placer correctement des pierres colorées (énergies) sur un plateau individuel dans le but de réunir 3 pierres identiques sur chacune de leurs zones de couleur (il y en a sept), situées les unes au-dessus des autres, pour harmoniser ces chakras. Pour cela, plusieurs possibilités de pose, plusieurs stratégies, des actions de mouvement... Une mécanique très maligne, bien pensée, liée à un thème qui s’y prête particulièrement bien !! On joue à la cool, chacun son tour, on se détend jusqu’à atteindre un niveau de zénitude qui n’est pas sans me rappeler Tokaido (avec moins d’interaction, mais ce n’est à mon sens pas un défaut ici), qui pour moi avait été une véritable révélation [2]. J’ai retrouvé ici le même type de plaisir, un moment vraiment agréable, et partagé.
Un petit bijou !
Tokaido, jeu d’Antoine Bauza (méca) et Naïade (illus), édité par FunForge, 2012
Si vous ne connaissiez pas donc, Tokaido, jeu de parcours zen sur plateau, où les derniers jouent en premier et d’où l’on ressort plus riche de ses rencontres, de ses expériences et des paysages croisés en chemin que de la ferraille qui cliquète dans le fond des poches. Forcément j’aime. Épuré, plein de poésie, c’est un très beau voyage qui nous est proposé là. Attention, merveille !
- samedi 27, ciné
Yesterday, film de Danny Boyle, 2019
Après un accident de vélo suite à une coupure de courant planétaire, notre héros se réveille dans un monde où les Beatles n’ont jamais existé... Musicien jusqu’ici perçant avec difficultésss, le jeune homme saute sur l’occasion et découvre le succès avec quelques chansons composées sur sa guitare : Yesterday, Hey Jude, Let it be,... Je ne m’attendais pas à ce que ce film révolutionne le cinéma mais j’étais tout de même curieuse de voir l’histoire et la façon dont elle était traitée. Parce que pour ne rien vous cacher, Yesterday c’est aussi le nom d’une BD (un peu passée sous les radars, il n’y a eu qu’un premier tome...) dans laquelle le héros se réveille un lendemain de cuite quarante ans avant la veille 0_o dans des années 60 où les Beatles n’ont pas percé, et se retrouve donc sur le devant de la scène à entonner Yesterday, Hey Jude, Let it be... tout seul sur sa gratte. Curieux non ?
Apparemment les deux histoires ne sont pas liées, les auteurs auront donc sans doute puisé leur inspiration aux mêmes sources... Pas le meilleur Danny Boyle, c’est sûr, mais des effets de montage assez sympa malgré les longueurs, un beau cadre, de l’humour qui fait oublier (presque) une narration super plate... J’ai quand même passé un bon moment. (Pis y’avait de la zic pas trop pourrie malgré déballage d’ustensiles de cuisine [3].)
Yesterday, BD de David Blot et Jérémie Royer, 2011, Manolosanctis
- lundi 29, ciné
#FemalePleasure, film de Barbara Miller, 2019
Ce documentaire suit le parcours de cinq combattantes contre les violences faites aux femmes à travers le monde, chacune à sa manière essayant de faire bouger les mentalités, faire évoluer la pensée, mettre un point d’arrêts aux dogmes patriarcaux et à la barbarie attenante : en racontant leur histoire dans les médias, ayant quitté pour l’une une communauté juive extrémiste, pour l’autre l’Église romaine après s’être faite violer régulièrement et subi des pressions morales (et étant aujourd’hui très heureuses !), en militant pour faire bouger les dogmes religieux, s’accorder le droit d’aimer et choisir contre les mariages arrangés, ou pour informer et lutter contre les mutilations qui n’ont d’autres noms que violences sexuelles sur des petites filles (sans oublier les petits garçons). Parce que non, l’excision n’est pas une pratique culturelle ancestrale. Des moments très émouvants, de la part tant de femmes que d’hommes.
Enfin, le pouvoir de l’humour (pas apprécié par tous), en hissant la vulve au même niveau symbolique que le phallus, lui largement arboré dans la rue, comme si la fertilité n’était dépendante que de ce seul organe (oui, la bêtise a encore de beaux jours) en en faisant des moulages pour diorama =) C’est excellent !
Parce que non, en effet, la femme n’est pas un simple tas de chair impur mais utile pour la reproduction, ni une poupée gonflable, parce que oui, globalement on en est encore là. Heureusement, les générations avancent et la pensée grandit. Un immense hourra pour ces femmes, et pour toutes celles qui mènent le même combat, à leur manière, et qui ne figurent pas dans ce film.
Le constat est dur, mais encourageant. Il reste du boulot. Continuons !
Un film à voir, et surtout ensuite à montrer largement !!!
À nous aussi, au quotidien, à titre d’hygiène, même dans notre culture beaucoup plus ouverte, de refuser toute pratique tendant à ôter à la femme la pleine liberté de son être, juste « pour plaire » ou « faire comme il faut » et répondre aux attentes de la société : usages vestimentaires, comportementaux, attentes sexuelles ou sociales. Je serais plutôt adepte d’un « androgynisme », mais en voyant ce film et la violence extrême, je perçois à quel point le féminisme a réellement permis des prises de conscience essentielles. [4]
[1] humour jamais gratuit, il vient toujours renforcer férocement le propos
[2] découvert vers 1h du mat’ après une journée d’animation de festival ludique très dense et bien fatigante dans le silence tout relatif d’un gymnase bondé et surchauffé, et d’une voix qui s’émousse
[3] qui auraient pu aider pour garder le tempo ^^
[4] J’y reviendrai. Il s’agit sans doute de la définition qu’on donne au féminisme et des actes qui lui sont liés, j’ai personnellement du mal à comprendre celui qui se vit comme un pendant du machisme façon « œil pour œil » et ne rechignant pas à l’humiliation : est-ce vraiment cela que l’on veut ou au contraire trouver un juste et sain équilibre, simple et apaisé ? (on a mieux à faire, non ?! )