Journal | Février 2021
- samedi 6,
La planète des singes : les origines Rise of the Planet of the Apes, film de Rupert Wyatt, 2011
L’avantage avec les a priori, c’est que lorsqu’on se penche — enfin — sur un film qu’on a pré-étiqueté, on a parfois la chance d’une très bonne surprise. J’avoue que faute de bon film SF sous la main (en découverte), l’idée d’un blockbuster récent revisitant un mythe qui m’a biberonnée (au rythme d’une rediffusion télévisée annuelle) s’est fait plus séduisant.
Bien au-delà de l’a priori, donc, une histoire bien foutue à tous les niveaux, y compris la couche de réflexion que je chéris tant. Et le plus cool : c’est le premier d’une trilogie !! =D
Un TRÈS bon divertissement.
- dimanche 7,
Marshall ROSENBERG « Eduquer sans récompense ni punition », conférence en Belgique traduite en simultané, 2005 (?)
Pas l’habitude de parler ici des conférences, mais pour une fois... sur YouTube.
Le dernier roi d’Écosse The Last King of Scotland, film de Kevin Macdonald, 2006
Début des années 70. Un jeune médecin écossais effrayé par une vie toute tracée sur le chemin paternel fait la rencontre, en Ouganda, du nouveau leader charismatique du pays suite à un coup d’État. Libérateur, jovial, charmeur, et en outre admirateur de la culture Écossaise fréquentée lors de son entrainement militaire, l’homme impressionne, et une amitié naît rapidement de cette rencontre. Jeux de séduction, de pouvoir, manipulation, le rêve vire rapidement au cauchemar selon un processus que le film tente d’éclairer. Pas mal, mais assez maladroit, un problème de rythme, un scénario cousu de fil blanc (même dans la grande ignorance de l’Histoire avec une grande H)... l’ennui s’est invité assez rapidement.
À mon sens dispensable.
- jeudi 12,
From Hell, roman graphique de Alan Moore et Eddy Campbell, 1995 pour la version intégrale, 2000 pour la présente édition dans la traduction de, Delcourt
Bien au-delà d’un roman graphique gigantesque, une enquête approfondie — texte et images, forme et fond(s), tréfonds... — sur la fabrication d’un mythe, nommé Jack l’Éventreur, dans le but, peut-être de répondre à notre besoin tout humain de donner un sens à l’horreur. Largement documenté, référencé, le scénario nous offre un chemin plausible des trames et manigances de cette Angleterre encore victorienne dont la folie meurtrière s’empare, couvant un vingtième siècle où elle connaîtra son apogée — je l’espère de tout cœur, même si chaque jour l’actualité tend à nous prouver le contraire. Ça se passe encore avant l’origine du mal et de la violence, au niveau le plus visqueux de l’être, conscient ou inconscient. Et du visqueux, on en retrouve ici. Le dessin brouillon, noir, incisif vient ici impressionner la rétine et ce qui se trouve derrière ce rideau, et rend l’expérience palpable, puante, gluante. Les détails des dialogues, la précision des temps, chronologiques comme météorologiques, topographiques, les possibilités qui se superposent... les faits, la logique, les suppositions... L’analyse implacable que chacun porte en lui sa part du phénomène. Ce livre est une monstruosité. Réellement. Une monstruosité et un chef d’œuvre. Qui demande du temps à être ingurgité, c’est vrai, surtout, en ce qui me concerne, les notes de fin d’ouvrage, une cinquantaine de pages de compléments, références et autres annotations d’Alan Moore, dont je recommande chaudement la lecture malgré leur côté indigeste (ça nourrit pendant longtemps...). Qui demande à être digéré aussi, donc, longuement. Un livre à lire, assurément, au même titre peut-être qu’un Maus d’Art Spiegelman... Peut-être même plus : rencontre avec l’horreur débarrassée du pathos. Mieux vaut mettre ses émotions un peu de côté d’ailleurs, sans s’empêcher de ressentir, juste équilibre empathique trouvé ici par Moore. Mais accrochez-vous.
Le plaisir, par ailleurs, de croiser cette idée de quatrième dimension... lorsque ses propres idées, fantasme ou intuition, semblent trop barrées pour être avouées, avoir la surprise d’en retrouver une trame similaire au hasard de quelques pages, c’est marrant. Douce folie partagée.
- dimanche 14,
Lettre à Momo, film de Hiroyuki Okiura, 2011
Les beaux films d’animation traitent-ils tous, ou sinon en grande majorité, du deuil ? à moins que le deuil dès lors qu’il est traité avec délicatesse donne naissance naturellement à de beaux films d’animation ? Ou alors est-ce moi qui ai sans le savoir (j’ignorais une fois de plus le propos du film) une appétence particulière pour ce genre de film ?
Sous-titre potentiel : mes vacances avec des Yōkai (esprits malicieux issus du folklore japonais). Qu’on ne s’y trompe guère, s’ils sont présentés comme affreusement moches et effrayants, ils ne portent en eux rien de cette inquiétante étrangeté, prégnante chez les différents esprits de l’œuvre de Miyazaki, derrière leur aspect parfois « choupinou » ou « kawaï ». Cependant, j’ai apprécié ce parti-pris du réalisme, très abouti dans Lettre à Momo, qui justement permet de se distinguer des univers oniriques du maître, référence indissociable pour l’occidentale que je représente... Moins profond, sans doute, mais très agréable ; j’ai passé un bon moment (et de superbes micro-vacances sur une petite île du Japon).
Histoire d’un regard : à la recherche de Gilles Caron, film de Mariana Otero, 2020
Loupé de peu en sortie ciné (programmée chez moi une certaine semaine de mars 2020), un grand merci une fois de plus à la Médiathèque, qui permet de continuer à s’alimenter culturellement en cette période de disette de ciné, scène et expos.
Entre récit et documentaire, Mariana Otero enquête sur le créateur d’images que nous avons tous probablement déjà vues lors de leur glissement entre actualité et histoire récente.
Reconstituer la chronologie des planches contact. Traquer la trace. Découvrir une sensibilité. Rencontrer un homme. Histoire d’un regard...
La sensation de toucher du doigt quelque chose, avoir traversé une membrane de mystère, au-delà du temps, au-delà de la mort.
Comprendre, jusqu’à l’incompréhensible, quand la trace s’évapore à nouveau dans un brouillard épais.
Très heureuse d’avoir pu voir ce film, très intéressant à la fois dans son fond et dans sa forme. Au-delà de l’histoire, reste l’émotion.
- samedi 20,
L’ange ivre, film d’Akira Kurosawa, 1948
La lutte amicale entre un jeune yakuza tuberculeux qui ne veut pas se soigner et un humaniste médecin porté sur la bouteille à force de désespérer de pouvoir un jour venir à bout des maux qui rongent les poumons de ses patients, les rues de son quartier, les fondations écrasées d’une société qui survit comme elle peut.
Pas le film le plus formel de Kurosawa, ni à mon sens le plus indispensable, intéressant cependant pour qui souhaite explorer la filmographie.
- dimanche 21,
Pompoko, film d’Isao Takahata, 1994
À nouveau une histoire de yokaï, d’esprits, vraiment centrale dans la culture nippone, sur un ton humoristique et léger, au service cependant d’un propos central chez Ghibli : le respect des équilibres des écosystèmes et des êtres qui y vivent, la recherche d’harmonie et les risques encourus sinon. Ces fameux esprits, plus exactement des tanuki — esprits de la forêt inspirés des chiens viverrins proches de l’aspect du blaireau, vivant dans ces forêts —
« Dans un monde sans mélancolie les rossignols se mettraient à roter » [1]...
Je ne crois pas que ce film soit sans mélancolie, peut-être s’exprime-t-elle autrement, et disons que la drôlerie, souvent potache et joie volontaire voire volontariste s’érigent comme arme ultime au chaos. L’innocence et la spontanéité face au cynisme et à la bêtise. Une expression qui ravira les plus jeunes, et pourquoi pas les plus grands. Le rire pour résister à la folie, le rot après tout est-il une autre forme de poésie [2] ?
Un film qui marche très bien aussi si on a juste envie de se détendre sans devoir verser dans la philo ! =)
Logorama, court métrage d’animation de François Alaux, Hervé de Crécy et Ludovic Houplain (H5), 2009
Il y a des termes que je n’aime pas utiliser à tort et à travers afin de leur éviter autant que possible une dévalorisation sémantique. Le glissement est déjà suffisamment entamé au travers des interjections putaclic et des titres racoleurs au pays où seul le plus spectaculaire obtient son droit de cité. Et justement, on y est. Logorama, si jamais vous ne l’avez encore vu/pris dans la figure [3], est un court-métrage d’animation 3D — oscarisé en 2010 [4] — qui raconte une histoire spectaculaire — un détournement avec course-poursuite — dans l’archétype de la ville spectaculaire — Los Angeles — en utilisant exclusivement des logos et quelques volumes simples comme matière première. Et l’attribution de chacun des logos pour servir l’histoire est rudement bien pensée ! Comme le reste d’ailleurs. Un grand détournement, une course-poursuite qui va droit dans le mur au pays merveilleux du capitalisme exacerbé au service duquel tout signe, tout sens, se retrouve dériver, paradoxalement vers le creux et le carton-pâte.
Hommage subtil à They live Invasion Los Angeles de Carpenter [5], bourré d’un humour fin et corrosif. De sérieuses questions à se poser sur notre existence en tant qu’individus vis-à-vis de la personnification des signes qui imprègnent notre culture occidentale [6].
Tant sur la forme que sur son lien avec le propos de fond : jouissif et génial.
- mercredi 24,
Bisons des Grandes Plaines, récit de Dan O’Biren, traduit par Doug Headline, Au Diable Vauvert, 2019
Débuts difficiles (qui trainent depuis mi-novembre)...quarantaine de pages aussi... continue à avancer à doses homéopathiques et ne désespère pas (bien que l’abandon soit aussi une des possibilités).
Fin décembre, p.129. Bfffff...
Fin janvier, et oui huggghh... toujours... p.179...
Bon espoir de trouver un moment pour en venir à bout.
Ouf ! Des informations intéressantes disséminées çà-et-là mais globalement, quelle purge ! j’avoue avoir beaucoup de mal à lire un texte (mal) écrit de cette manière, mêlant fort maladroitement données historiques ou pseudo données historiques et parfois douteuses et projections personnelles dans des êtres et à des périodes inaccessibles. C’est vrai que c’était indiqué « récit ». Pourquoi m’attendre à un partage d’expérience d’un auteur présenté comme connaisseur des bisons, appuyé car quelques données factuelles (il y en a ! un peu) ? Mieux vaut passer quelques heures sur Wikipédia, en tout cas pour ce que je souhaitais y trouver.
La main gauche de la nuit, roman d’Ursula K. Le Guin, 1969, 2006 dans la présente édition traduite par Jean Bailhache, Le Livre de Poche
Encore un livre que je voulais aborder depuis longtemps... relâchement chaleureux dans un plaisir de lecture cotonneux... entre envie de faire durer et perspective de la pile de ce genre de lecture qui m’attend encore.
Un envoyé d’une fédération galactique unissant plusieurs mondes dont Hain et la Terre, l’Ekumen, arrive sur une planète lointaine et hivernale, habitée par les seuls humains hermaphrodites connus...
Plaisir cotonneux (mais froid !) fini, une superbe réflexion sur la complémentarité, quels qu’en soient les modes d’expression. Une exploration du genre, dissociant fonction reproductrice et amour entre deux êtres, une exploration de l’implication de deux « théories du genre » opposées dans la construction et l’exposition de deux sociétés à des années-lumière l’une de l’autre, avec toute la subtilité qui caractérise l’écriture d’Ursula K. Le Guin, fondamentalement libre de tout manichéisme (même si la Sibérie staliniste, c’est quand même pas super cool).
Une pierre majeure de la littérature, sf ou non, de ces livres qui vous laissent les impressions et les souvenirs d’un grand voyage, des images inoubliables. Est-ce seulement ma sensibilité ou un aspect volontaire ou involontaire de l’écriture, j’aurais juste bien aimé ressentir un peu plus d’émotion. L’écriture à la première personne du journal d’un personnage sans doute très pudique n’en facilite pas l’expression.
Vraiment beaucoup aimé, je ne peux qu’en encourager la lecture !
- jeudi 25,
Le Bibendum Céleste, bande dessinée de Nicolas de Crécy, Les Humanos, 1994-2001
Autant j’avais beaucoup aimé Léon la came (De Crécy au dessin, Chomet au scénar), autant je dois avouer, malgré beaucoup de retours très positifs, que j’ai été plutôt déroutée et déçue par le Bidendum... trop glauque, trop noir, un fond auquel je pourrais souscrire (qui ne pourrait pas ?), mais manquant à mon avis de profondeur et de subtilité. J’ai quand même lu les trois tomes, au cas où, ce qui a cependant apporté quelques éclairages au fur et à mesure, mais aucune révélation où tout prend son sens. Plutôt la sensation de comptes personnels à régler, l’expression d’une amertume, d’un mal-être qui patauge dans sa marmite de noirceur. Ça ne m’intéresse pas. L’occasion de mieux percevoir par moi-même la parenté avec les Triplettes de Belleville, et la querelle autour des accusations de pompage. Sans chercher plus loin la paternité de tel ou tel élément d’une création lors d’un travail commun ou parallèle qu’il me semble complexe à démêler pour toute personne extérieure, si les personnages et l’histoire sont différents, le décor est en effet le même, tout comme l’amertume et la noirceur qui exhalent de cette marmite de querelle-là.
Pas ma came.
- samedi 27,
Période glaciaire, bande dessinée de Nicolas de Crécy, Futuropolis/Musée du Louvre, 2005
Vraisemblablement commande du Musée du Louvre, une histoire assez drôle illustrant les limites de l’interprétation lorsque les écarts culturels sont trop importants : l’expédition scientifique d’une civilisation post-apocalyptique survivant à une nouvelle ère glaciaire où les chiens ont acquis le langage humain, à la recherche des traces d’une ville mythique : Paris. Ils « tombent » sur le Louvre, et les déductions auxquelles ils parviennent sont... différentes de celles auxquelles on s’attend, nous lecteurs de cet âge lointain qui possédons les bonnes clés de compréhension. Mise en abyme. Toujours aussi désespéré si l’on s’y attarde un peu, mais au moins c’est drôle, c’est déjà ça.
La planète des singes : l’affrontement Dawn of the Planet of the Apes, film de Matt Reeves, 2014
Toujours aussi bien foutu, l’histoire toujours aussi bien écrite prend sa pleine ampleur, révélant les enjeux de deux civilisations qui ne peuvent vraisemblablement réussir à cohabiter. La bêtise et la rancœur n’ont pas de camp.
Toujours un TRÈS bon divertissement.
- dimanche 28,
Si tu tends l’oreille, film de Yoshifumi Kondo, 1995
Un film Ghibli assez surprenant dans son réalisme, qui nous invite très joliment à la réflexion sur les façons d’enrichir un monde balisé d’imagination, de poésie et de fantaisie, que ceux-ci s’expriment par un art, un artisanat, l’étude... une façon d’être au monde et d’interagir sur celui-ci et avec d’autres pour un réenchantement commun et mutuel. Peut-être pas un chef d’œuvre, un film très agréable, dommage que le « destin » n’ait pas laissé assez de temps à Yoshifumi Kondo pour confirmer son talent.
La planète des singes : suprématie War for the Planet of the Apes, film de Matt Reeves, 2017
Toujours sympa. Peut-être plus basique, plus tadatadatadatada... où ce soit, les armes et les combats m’emmerdent, donc forcément, là... Le plaisir a été un peu moins présent que pour les deux épisodes précédents, reste le volet final d’une trilogie plus que satisfaisante, une chouette découverte et, je réitère, un bon divertissement !
[1] citation d’Emil Cioran arrivant à mes oreilles fort à propos je crois — merci France Culture et Adèle Van Reeth
[2] même si l’image précise du rossignol laisse planer un doute, tout dépendant alors peut-être des caractéristiques sonores et du tempo dudit rot
[3] il se trouve assez facilement, DuckDuckGo est ton ami
[4] cynisme absolu ??
[5] Watch it !
[6] en plus clair : je suis impressionnée par la « présence » que peuvent prendre en quelques secondes de « simples symboles » utilisés comme personnages alors que l’être humain comme individu me semble complètement dépersonnalisé, anonymisé, inversement réifié, chosifié comme simple opérateur nécessaire à la consommation, au pays du dieu Argent