Journal | Juillet 2021
- samedi 3,
Jack London, une aventure américaine, film de Michel Viotte, 2016
Un documentaire bien foutu et instructif sur la vie de Jack London, auteur, aventurier, curieux du monde et de l’autre. J’ai toujours du mal avec les prises de vues de reconstitution, mais là ça m’a paru assez adroit pour ne pas me pas déranger.
Lettre d’une inconnue Letter from an Unknown Woman, film de Max Ophüls, 1948
Premier film — je crois — que je vois de cet auteur pourtant incontournable — j’imagine — à tout cinéphile un peu curieux, et le plaisir ou la surprise de découvrir un modèle, maître ou source d’inspiration pour nombre de cinéastes depuis bien longtemps à leur tour respectés, dont le Fameux — oui, vous l’aurez deviné, mon chouchou, Monsieur K, Stanley de son prénom (oui, le virus fan-girl a encore frappé). bref de déconnades, malgré l’âge avancé de ce film, sa réalisation a de quoi marquer les esprit par son aspect novateur et maîtrisé : cadre, travail des plans, plans, découpage, montage, une leçon de cinéma en bonne et due forme, et c’est encore plus manifeste il me semble dans le film suivant (dans cette liste). Au service en plus de cette superbe nouvelle de Stefan Zweig, chassé-croisé des sentiments au fil du temps qui s’enfuit, ce que l’on vit, ressent, projette sur l’autre, ce que l’autre perçoit, vit et ressent, dans une valse enivrante au bal des regrets.
Vous avez peur des vieux films ? Alors allez-y sans crainte, celui-ci n’en est pas un.
- jeudi 8,
Réalité, film de Quentin Dupieux/M. Oizo, 2015
Je connais mal Quentin Dupieux, mais je sais qu’il a des choses intéressantes à proposer, et ce film-là, ça fait longtemps que j’avais envie de le voir. Un film potentiellement sur la notion de réalité, forcément !
Que m’en reste-t-il finalement ? La sensation d’un bon film, ça oui. WTF [1], « mindfuck » [2] et absurde, indéniablement. Mais je crois que Dupieux est principalement un cinéaste de la sensation, justement, là où j’aime bien, en plus, avoir des biscuits pour le ciboulot (oui, oh la gourmande, je sais). N’empêche, je me dis aussi que je ne connais pas assez, et l’instinct me trompe rarement à ce sujet : il faut creuser, voir sa filmo, revoir celui-ci — et ça tombe bien, en général y’a au moins un hiver par an =).
- samedi 10,
Blue Jasmine, film de Woody Allen, 2013
Divorce, déprime et déconstruction-reconstruction sociale en famille. Reste cependant assez léger. Dans les films de Woody Allen, à mettre sur la liste des sympa mais plutôt chiants.
The Lobster, film de Yórgos Lánthimos, 2015
Futur proche. Le célibat est dorénavant interdit. Rassurez-vous, l’institution est là pour vous aider. Si vous échouez malgré tout, vous serez transformé en l’animal de votre choix.
La résistance existe ! Tapis dans la forêt, les célibataires combattent la barbarie. Attention cependant, tout rapprochement entre individus est formellement proscrit.
Par ces deux dogmes fascisants qui s’opposent, une étude du conformisme social, de la psychologie sociale, individuelle et de couple particulièrement intéressante, quoique, à mon sens, un peu trop dichotomique et tranchée, donc forcément trop caricaturale pour que le propos prenne tout son sens. Entre curiosité et sentiment de malaise persistant (de bon aloi), une fable très honnête.
- lundi 12,
Django Unchained, film de Quentin Tarantino, 2012
Western très sympa sur le destin pas banal d’un esclave noir dans le far west (plutôt sud) pré-guerre civile racheté puis affranchi par un chasseur de primes pas banal non plus (et assez attachant finalement), et devenant à son tour chasseur de primes (et un peu vengeur aussi). Beaucoup d’humour, et, ah, euh... grosse fuite de ketchup à 1h47 (chacun son style de signature, y’en a des qui préfèrent le dégoulinant, soit). Bien aimé.
- mercredi 14,
Madame de..., film de Max Ophüls, 1953
Cueillie par ce film encore davantage que par La lettre d’une inconnue précitée, toujours par la novation et la maîtrise de la réalisation, le mouvement, les jeux de miroirs, la finesse du scénario qui aurait pu tout aussi bien tomber à plat : la trame semble légère, mais le tissage relève du sublime. Pour filer la métaphore, un film qui a de l’étoffe (bon, elle était un peu facile, ok). Jouant à la fois sur le littéral et le symbolique, l’étrange voyage des bijoux de famille de Madame de... , ses amours, la solitude, la frivolité, la séduction, la virilité, l’honneur, la dignité, puis finalement l’essence de l’amour, tragique. J’ai été en outre assez subjuguée par le jeu et la prestance de Charles Boyer (certes comédien célèbre, mais pas des plus connus parmi ma génération...) au service d’un personnage particulièrement bien écrit, sommet d’un trio particulièrement fin et intéressant. Le mouvement, constante évolution, marche forcée où tout retour est impossible.
La pudeur de l’intime, enfin, s’oppose à l’expansion frivole, nous proposant d’apprendre à voir la profondeur que cache parfois le superficiel. Être et avoir...
Bonux, débrief ciné-club par Éric Schwald (attention, les cookies Youtube s’activent si vous visionnez la vidéo... — et seulement si, normalement), très intéressant ! :
- jeudi 15,
Cris et chuchotements Viskningar och rop, film de Ingmar Bergman, 1972
Dans un manoir, deux sœurs et leur servante au chevet de la troisième, mourante. Huis clos en rouge (et blanc) avec le tic-tac de l’horloge pour toute bande sonore, qui interpelle directement la fugitivité de nos vies, et ce que nous choisissons d’en faire, notamment dans notre façon d’être à l’autre... Chacune à sa façon exprime la peur de la mort (et également de la vie sans doute). Les rares respirations extérieures lors des promenades de concert dans le parc, de l’automne rougissant à l’hiver décrépi et froid.
Oui, un film austère et chiant peut être aussi beau et profond, d’une poésie lyrique (à éviter cependant en cas de carence de sommeil, si vous souhaitez le voir en entier).
- vendredi 16,
Hope, film de Boris Lojkine, 2015
Film de fiction, l’odyssée improbable de Hope, Nigériane, et Léonard, Camerounais, deux naufragés du monde qui se soutiennent l’un l’autre, malgré eux, ballotés par le destin et ce que l’on nomme humain, vers le nord et les rives de la Méditerranée. Le seul espoir qu’ils portent encore est probablement celui des autres. Ce soir-là j’aurais bien aimé voir un film un peu plus léger, j’avoue. Mais si jamais on n’a pas bien conscience de ce que c’est que devoir émigrer (quelle qu’en soit la raison : politique, économique, sociale, climatique...), film très utile. Sinon plombant, encore un peu plus. Sans doute la trace d’un très bon film, réaliste à pointer du doigt le documentaire, une histoire comme il y en a tant d’autres.
- mercredi 28,
Fin, bande dessinée d’Anders Nilsen, Atrabile, 2015
La curiosité attirée par le côté graphique de la couverture, me voici embarquée dans une histoire de deuil pas franchement folichonne... Un récit à la première personne, le travail cathartique de l’auteur à la mort de sa compagne, monologue éthéré ponctué de silences dans un style répétitif très dépouillé. Avec un peu de recul cependant, je me demande si l’overdose de pathos ne peut pas se montrer utile à toutes les personnes qui vivent des moments similaires en les aidant à passer le cap difficile de l’acceptation, alors que tout recul sur sa propre douleur est impossible. Sinon, ben... pas trop ma tasse de thé (surtout en comparaison avec un roman graphique découvert plus tard, autour du même sujet et dont je parlerai dans le journal d’Août : In Waves).
- vendredi 30,
Où le regard ne porte pas, bande dessinée de Georges Abolin et Olivier Pont, 2 tomes, coll. Long Courrier, Dargaud, 2004
Doux plaisir de retourner à la lecture d’une histoire que j’avais beaucoup aimée.
Lisa, William, Nino et Paolo, réunis dans l’amitié, à la vie à la mort. Un objet étrange. Italie, 1902. Avant, ailleurs. Istanbul, 1926. Costa-Rica, 1896. Demain.
Partout, tout le temps, la bêtise et la violence de ceux qui ont peur, ceux qui ne connaissent pas l’amour. Ceux qui n’arrivent pas à sortir de la boucle dans laquelle ils sont enfermés, toujours et encore.
Co-scénarisé par Georges Abolin et Olivier Pont, un récit dont les détails s’oublient au fil des années, mais qui laisse son empreinte longtemps après. Les personnages, attachants et complexes. Les sensations, l’atmosphère, l’aura de mystère, servies par la fluidité du trait d’Olivier Pont et les couleurs de Jean-Jacques Chagnaud qui s’imprègnent, peut-être pour plusieurs vies, qui sait ?
[1] pour « Whouahou Totalement Foudingue », pour les non-anglophones
[2] pour rester dans le même registre
P.-S.
Reprise tardive de ce journal, les souvenirs s’émoussent, en reste une sensation, une image, beaucoup plus succinct que lorsque la digestion est toujours en cours... =)