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Journal | Février 2023

 
  • jeudi 2,
La famille Asada
La famille Asada

La famille Asada (Asada-ke !), film de Ryôta Nakano, 2023

Je vois en préparant cette chronique qu’on lui reproche principalement son avalanche de bons sentiments (sur Senscritique), et me demande en quoi cela serait une faiblesse voire un gage de mauvaise qualité. Qu’y aurait-il de mal, dans le monde dépeint comme très sombre où nous frayons en ce moment, à relever les manches et un sourire et œuvrer avec bienveillance (mot qui à force d’avoir été trop utilisé à mauvais escient se serait lui aussi vidé de son sens) pour relever la noirceur et l’illuminer un peu. Jeu d’ombres et de lumières orchestré par ce photographe justement, qui s’est donné pour mission de trouver un peu de légèreté et de joie dans le tragique quotidien. Une façon d’interroger la place qu’occupent dans nos vies les moments privilégiés avec nos proches, le rapport au passé, au souvenir, au présent bien sûr. Des réflexions sur le rapport au monde et à l’autre qui forment à mon sens à la base même de l’existence. Moi j’ai beaucoup aimé, trouvé bien construit et écrit, même si non exempt de quelques défauts, mais peut-être ne suis-je pas assez cynique.

 

 
  • vendredi 3,
Je suis le rêve des autres
Je suis le rêve des autres

Je suis le rêve des autres, roman de Christian Chavassieux, 2022, Mnémos | mu

Récit onirique d’apprentissages croisés. Un vieil homme et un enfant traversent tout un continent pour mener à bien la mission qu’on leur a confiée : porter les espoirs de tous les autres. Bien lourd fardeaux qu’ils apprendront à porter, ou à déposer. Rien n’est écrit et il est toujours possible de faire ses propres choix, se réapproprier sa vie, même si n’est pas immédiat. Tout n’a pas besoin d’être un chef d’œuvre non plus, un voyage que j’ai apprécié, lecture agréable.

 

Où vivaient les gens heureux
Où vivaient les gens heureux

Où vivaient les gens heureux, roman de Joyce Maynard, dans la traduction de Florence Lévy-Paoloni, 2021, 2022 pour la version lue, Lizzie

Le récit d’une femme états-unienne au fil des années fin 70 à 2000, en tant qu’artiste, mère, femme dans la grande traversée du temps, des évolutions sociales, des désillusions, du plus universel au plus intime. Par ces aspects, j’aurais pu aimer cette histoire. Si elle s’était arrêté au tiers, ça m’aurait peut-être bien plu. Mais il a fallu qu’elle s’enlise sous d’infinies couches de pathos dégoulinant et nombriliste, si bien qu’à la fin de l’écoute j’ai crié Ouf ! Vraiment pas ma came (si j’ose dire).

 

 
  • dimanche 5,
Portugal
Portugal

Portugal, bande dessinée de Cyril Pedrosa, 2011, Dupuis | Aire Libre

Curieuse l’impression que me laisse cette lecture, un peu voilée, vaporeuse, comme les états d’âme de cet auteur de bd que l’on suit au fil de ses voyages, perdu entre son passé et son avenir, entre deux langues, entre deux ambiances, chaud et froid, intérieur et extérieur, silences et exubérance... J’ai beaucoup aimé justement ce travail sur l’oralité, sur les couleurs, les contrastes, les atmosphères intimes ; l’histoire en revanche ne me laisse pas un souvenir impérissable.

 

 
  • vendredi 10,
Le dernier Lapon
Le dernier Lapon

Le dernier Lapon, roman d’Olivier Truc, 2012, 2014 pour la version lue, Sixtrid

Sous couvert de me plonger un peu dans les paysages nordiques, j’ai eu la très heureuse surprise de me trouver confrontée non seulement à une intrigue policière plutôt bien fichue, des personnages intéressants et surtout un fond historique, économique et social passionnant qui explore les difficiles relations entre les peuples sámis, autochtones, et les colons norvégiens et suédois (et autres européens coureurs d’ors de tous types) autour de territoires et ressources qui, si elles sont les mêmes, revêtent des conceptions totalement différentes. Deux visions du monde, bien sûr opposées, l’une très libérale, rationalisée, visant à tirer le meilleur bénéfice de l’exploitation des ressources naturelles, « court-termiste » façon après moi le déluge, l’autre plus proche d’une recherche d’équilibre et d’harmonie dans la façon de vivre (ou survivre), à l’écoute du vent et des récits anciens autant qu’alarmé par les conséquences de la première vision. Sans omettre la situation de la femme dans les deux tableaux (est-elle elle aussi une ressource à éventuellement exploiter ?). Deux mondes superposés. Façon manichéenne de représenter les choses peut-être... mais peut-on encore aujourd’hui soutenir sincèrement et totalement la première vision ? Il est cependant aussi question de l’apport du peu de confort que la technologie et l’industrie ont apporté aux habitants de ces terres reculées, surtout représenté ici par la motoneige (voire l’hélico) plutôt que le traineau pour rassembler les troupeaux ou se déplacer. Des terres qui symbolisent à la fois le dernier bastion en Europe d’une nature pas encore tout à fait canalisée par la civilisation occidentale et pourtant scène d’une âpre bataille face à l’exploitation de toute sorte (barrage hydroélectrique d’Alta — et tant d’autres, activités minières et forestières). L’occasion par ailleurs de découvrir un peu de la culture sámi, et de retrouver, en ce qui me concerne, des paysages à la fois exotiques et connus, visités et dont j’ai pu cerner, au moins en surface, les enjeux. Un cri d’amour fort bien documenté à ces terres du Nord et ces personnes qui les habitent. Forcément je souscris. (Et cette histoire n’est que le premier tome d’une série qui en comprend, au moment où j’écris, quatre, regroupées sous le titre de la Police des rennes, chic !!)

 

Mille millards de dollars
Mille millards de dollars

Mille milliards de dollars, film d’Henri Verneuil, 1982

Dernier opus de ce que l’on pourrait nommer la « trilogie politique » de Verneuil, après Le corps de mon ennemi en 1976 et (l’excellent !) I... comme Icare en 1979, il se concentre ici sur les multinationales gouvernant le monde en insinuant leurs tentacules à tous les niveaux de la « haute société » ; pure fiction, donc. Nous suivons donc ici Paul Kerjean (interprété par Patrick Dewaere), grand reporter à La Tribune (principal quotidien économique avec Les Echos) informé d’une histoire de pots-de-vin au plus haut niveau. Il sera question de manipulations économico-politiques, et de responsabilité historique de grandes sociétés, tout en montrant les dépendances incapacitantes qui font le tissu économique, politique, légal et journalistique et les dangers que représentent (et courent) ce que l’on appellerait aujourd’hui un lanceur d’alerte. Est-il encore possible d’être indépendant ? Cruellement actuel.

 

 
  • lundi 20,
La montagne
La montagne

La montagne, film de Thomas Salvador, 2023

Ce film me laisse un drôle de sentiment. Nous suivons tout d’abord Pierre, ingénieur en robotique sans trop d’attaches venu dans les Alpes pour son boulot. Attiré par un besoin impérieux, il s’équipe (comme un bon parisien n’ayant jamais mis les pieds en montagne) et part passer une nuit en bivouac. Fort de son apprentissage d’une nuit et de ses observations, il décide de tout lâcher et retourne en ville le temps de s’équiper plus correctement et se ravitailler avant une plus longue immersion, qu’il envisage plus humblement, apprenant auprès de guides et d’autres montagnards, avant de partir plus avant, pour une immersion en profondeur, une expérience métaphysique. Dans le tableau, une femme dont on devine qu’elle a un compte à régler avec la montagne, et je me suis demandé si ce n’était pas le cas aussi de Thomas Salvador, celui-ci semblant très proche du milieu montagnard. Par ailleurs, j’ai trouvé remarquablement induite, sinon expliquée, la fascination que peut avoir la montagne pour les montagnards, au même titre sans doute que la mer pour les marins et plongeurs (oui, je pense clairement au Grand bleu). C’est fort, inexplicable, et malgré tout il arrive à faire passer quelque chose de ça je trouve, et chapeau. De même pour le côté à la fois effrayant et pourtant, finalement, accueillant de la montagne, et pour l’opposition montagne à la fois émancipatrice et intimidante face à la civilisation-société normée et rassurante-attentes familiales et sociales. J’ai trouvé en revanche le côté fantastique particulièrement maladroit. Sorti de nulle part (au lieu de se faire sentir discrètement dès le départ), il tombe à plat (en ce qui me concerne), et je n’y crois pas (suspension d’incrédulité niveau 0). De même, la fin m’a fait mal aux genoux lorsque ma mâchoire inférieure y est tombée. Un dénouement (?) contre toute attente, et surtout toute logique. J’aurais aimé qu’elle apporte alors un questionnement psychologique, philosophique ou sociétal quelconque, mais il me manque pour cela une ou deux pièces au puzzle. L’expérience a-t-elle été trop forte ? Se frotte-t-on impunément à (beaucoup) plus grand que soi ? On se dit pourtant qu’on n’en revient pas... ? L’homme est-il uniquement un consommateur de sensations fortes, hermétique à ce(ux) qui l’entoure(nt) ? Un type qui claque la porte au matin et rentre chez lui ? À moins qu’il ait reconnu s’être immergé dans un monde auquel il n’appartient pas ? Pourtant... Ça me semble bien réducteur (voire antinomique avec le propos) et je reste dubitative. Et je n’aime pas ça.
Le chaud et le froid donc, en ce qui me concerne. Un beau film, même si pas forcément bon, une curiosité à coup sûr. À vous de voir.

 

Aftersun
Aftersun

Aftersun, film de Charlotte Wells, 2023

Plongés dans la pellicule légèrement jaunie d’un souvenir de vacances en Kodachrome pendant les années 90. Un père et sa fille dans un hôtel de bord de mer en Turquie. Au-delà de la carte postale, des bribes qui surgissent comme les pièces d’un puzzle à reconstituer. C’est à nous, spectateurs, au même titre que l’héroïne du film, que revient de recomposer ce qui s’est réellement passé lors de cet été. Se poser les questions, lire entre les lignes, relire avec un regard adulte le film d’un souvenir d’enfance, tout comme doit le faire l’héroïne, qui a grandi. Rien n’est ni donné ni acquis, sur le fil ténu des suppositions, interrogeant le statut des souvenirs, de l’évolution du regard sur un même passé, les mêmes événements. Une écriture fractale et fracturée, recomposer un miroir brisé pour y comprendre une identité blessée. Sublime.

 

 
  • vendredi 24,
Mille femmes blanches
Mille femmes blanches

Mille femmes blanches (One Thousand White Women : The Journals of May Dodd), roman de Jim Fergus, dans la traduction de Jean-Luc Piningre, 1998, 2019 pour la version lue, Lizzie

Interpelée par le succès de la trilogie démarrant par _Mille femmes blanches_, et donc curieuse, j’ai découvert à cette écoute un fait historique (ici accentué), celui de l’échange de femmes blanches contre autant de chevaux cheyennes pour sceller une amitié et à terme un lien filial entre deux cultures. Contrat ni très honnête ni respecté de la part des « blancs », on s’en doute, mais du point de vue de ces « femmes blanches », une immersion dans un culture méconnue, tout d’abord rejetée, puis finalement adoptée et défendue à mesure que la définition de la sauvagerie s’est faite moins partiale. Contente une fois de plus du format livre lu qui m’a donné l’occasion de faire cette belle découverte.

 

 
  • samedi 25,
Cœurs
Cœurs

Cœurs, film d’Alain Resnais, 2006

Cœur brisé : d’un côté j’adore le propos de Resnais, sa recherche formelle au service des émotions et de l’étude des rapports entre les humains (et plus particulièrement ici les hommes et les femmes), les symbolismes autour des lieux et décors, la météo intérieure, les situations facétieuses, d’un autre je n’arrive pas y projeter un réel affect sur ce film, comme s’il s’agissait d’une coquille vide, alors qu’elle ne manque au contraire pas de profondeur. Dichotomie pour moi incompréhensible. Grrr !!

 

Chien enragé (Nora inu)
Chien enragé (Nora inu)

Chien enragé (Nora inu), film d’Akira Kurosawa, 1949

Un jeune policier se lance dans la traque obsessionnelle d’un criminel opérant avec l’arme de service du premier, que celui-ci s’est fait voler par négligence. Film noir qui aborde le sentiment de culpabilité, et les deux postures envisageables, à la manière d’un Doppelgänger : la loi ou le crime. Deux formes d’acceptation d’un sort imposé à la société japonaise en pleine mutation au sortir de la guerre, que Kurosawa dépeint avec humanité. Très bon film, dense, qui pourtant ne m’a pas laissé d’impression si forte que d’autres films du réalisateur. Trop dense ? peut-être ne l’ai-je pas regardé au meilleur moment ? À moins que je lui préfère Entre le ciel et l’enfer ? À revoir donc (les deux ! ;) ), avec plaisir, pour pouvoir en approfondir l’analyse.

 

 
  • mardi 28,
La vie est un roman
La vie est un roman

La vie est un roman, film d’Alain Resnais, 1983

Entre réalité(s) et imaginaire, deux (ou trois) récits enchâssés, à la recherche du bonheur. Des adultes qui veulent concrétiser leurs rêves et renaître dans une nouvelle vie en oubliant la guerre et les désillusions sentimentales, des adultes qui veulent faire un dogme de la liberté de l’imaginaire, et d’autres qui n’ont pas encore totalement oublié qu’ils ont été des enfants, et au milieu de tout cela un récit épique et féérique. Des histoires d’amour, des histoires de domination, les croyances, quelles qu’elles soient, toutes les histoires qu’on se raconte et qui finissent par former notre réalité, au moins pour un temps. Alors, la vie est un roman ?
Là j’ai beaucoup aimé !! :)

 

Première mise en ligne 14 avril 2023, dernière modification le 14 avril 2023

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